Le 30 septembre 2016
En réaction à l'article de Béchir publié le 12 décembre et intitulé "Vous ne votez pas, taisez vous !" Antonin Pruvot a pris la (P)lume pour répondre et proposer une nouvelle lecture du suffrage !
Les résultats du premier tour des élections régionales n'ont été une surprise pour personne mais beaucoup l'ont vécu comme un choc. En réaction, les appels au vote et les critiques acerbes à l’égard des abstentionnistes se multiplient se résumant parfois à des « si tu ne votes pas tais-toi » à la simple évocation d'une abstention politique. Je ne fais pas ici l'apologie de l'abstention mais il m'est apparu important de la défendre comme action politique face à la stigmatisation à laquelle elle fait face.
Les abstentionnistes ne sont pas tous des ‘jmenfoutistes’
Il y a pour moi deux formes d'abstention. Le sujet n'est pas une seule seconde de cautionner la cohorte de Français qui ne bouge pas parce qu'ils s'en foutent.
Il faut savoir ce que l'on combat, à vrai dire je serais complètement d'accord avec cet article (cf. ”Vous ne votez pas ? Alors taisez-vous !”) si la critique l'était à l’égard de l'apathie rampante plutôt que l'abstention. Ça n'est pas l'abstention qui fait grimper le FN c'est le désintérêt dans la politique telle qu'elle se pratique depuis au moins 20 ans. Et pour cause, le FN est malheureusement la seule alternative (si tant est que ça en soit vraiment une ce dont il est permis de douter) réaliste. Avec toute l'estime que je leur porte, les parties comme Nouvelle Donne n'iront probablement jamais nulle part.
Si par chance ils obtiennent un score important, ils risquent de finir comme les Verts en 2012 qui ont perdu tout leur support après s'être normalisé pour pouvoir évoluer dans le jeu politique. Le système tel qu'il existe fait peser une chape de plomb sur les potentiels 'outsiders' qui se retrouvent à choisir entre intégrité intellectuelle et efficacité et qui finissent par faire des compromis sur leurs idées pour accomplir quoique ce soit parce qu'on ne peut arriver à rien sans rentrer dans le rang.
Un système politique à bout de souffle. Et si l’abstention était notre voie de sortie ?
Et malheureusement même si je crois toujours en la politique, j'ai perdu foi dans les deux partis majoritaires pour apporter quelque changement que ce soit.
Le Parlement est toujours composé d'une écrasante majorité d'hommes, si les statistiques ethniques ne sont pas autorisées il n'est tout de même pas compliqué de voir que des personnalités comme Razzy Hammadi ou Christiane Taubira 'détonnent' carrément, la moyenne d'âge n'a rien à envier à celle de Cannes et ils n'ont pour la plupart franchement pas de quoi rougir de leurs origines sociales. Dans l'état actuel des choses je suis sûr qu'on pourrait trouver dans un cercle restreint de quelques milliers de familles tout au plus, trois quarts des députés et sénateurs qui composeront le Parlement dans 40 ans.
Ça n'est pas un problème en soi mais il est difficile de continuer à faire confiance à un groupe de personnes issu d'une toute petite minorité de décider pour l'ensemble de la population alors même qu’ils échouent depuis un demi-siècle.
Sans compter que la plupart des grandes réformes sociales récentes (loi Veil, les 35h et le mariage pour tous -précédé par le Pacs-) ont été portées avant tout par les milieux associatifs et militants.
Ce qui me gêne dans le dénigrement systématique de 'l'abstention consciente' c'est que beaucoup considèrent de fait que le vote est notre seul pouvoir politique, ça devient même paradoxalement l'excuse de pas mal de gens pour se laver les mains de toute responsabilité politique pendant les cinq prochaines années sous prétexte qu'ils ont fait leur part.
Alors qu'encore une fois ceux qui s'impliquent dans le militantisme quel qu'il soit ont bien plus de poids que ceux qui vont mettre leur bulletin dans l'urne pour retourner ensuite faire l'autruche pendant cinq ans, gavés d'auto-satisfaction.
Le vote n’est pas notre seul pouvoir politique
Je n'arrête pas de voir tourner sur Facebook la phrase de Vanhoenacker « Un con qui vote aura toujours plus de poids que deux intellectuels qui s'abstiennent » et bien je ne suis pas d'accord, n'importe qui travaillant pour une cause aussi triviale soit-elle a un pouvoir potentiel immense.
Celui qui milite pour la protection des oiseaux migrateurs dans le Périgord sera à mon sens bien plus influent que celui qui se contente de voter, parce que le militantisme et l'engagement politique est exactement ce qui fait tant défaut à la politique française et à celle des pays dits développés généralement, l’ornithologue périgourdin lui agira sur les consciences et c'est ce qui compte. Le combat politique ne passe pas que par les urnes, la lutte se déroule avant tout dans les esprits.
Alors oui l'abstention est un pari risqué parce que, par définition, on prend le risque de ne pas être entendu (et c'est exactement pourquoi il faut s'évertuer à réfléchir de manière constructive à l'abstention plutôt que de l'ignorer en bloc par simple réflexe) mais est-ce que voter pour faire barrage au FN aurait au final plus fait entendre ma voix et celle de tant d'autres ?
On répète sans arrêt que ceux qui n'ont pas voté ne devraient pas se plaindre, mais ironiquement je trouve plus difficile pour ceux qui ont voté et donc de facto renouveler leur consentement au système, de remettre en question le-dit système.
Alors qu'aujourd'hui plus que jamais les votes sont des votes de dépit ou d'opposition à un parti adverse plutôt que de soutien à une idée ou un mouvement, ces votes sont tout aussi indistincts entre eux que les abstentions politisées et celles de ceux qui n'en ont rien à carrer sauf qu'au final les voix exprimées envoient l'image aux vainqueurs des élections d'une légitimité démocratique et populaire. Si un jour l'abstention dépasse les 60-70% (espérons que les choses changeront avant qu'on en arrive là) personne ne pourra plus prétendre que c'est juste du désintérêt et que le système est légitime et il faudra bien alors amorcer une réflexion pour des changements en profondeur.
L'abstention n'est pas la solution, pas plus que ne l'est le vote pour l'évidente raison qu'un tel concept n'existe pas en politique, il y a autant de solutions qu'il y a d'individus. L'abstention est et devrait être reconnue comme un geste politique, je n'appelle pas les gens à s'abstenir je les appelle à réfléchir à ce qu'ils veulent et à prendre en considération tous les moyens qu'ils ont à leur disposition pour y parvenir. Exclure d'office l'abstention c'est brider nous-même notre pouvoir politique et nous rendre plus vulnérables face à ceux qui nous gouvernent quels qu'ils soient. Un système qui ne craint pas l'abstention est un système qui agit comme s'il était totalement légitime. Finalement ce qui décidera de ma présence dans l'isoloir aujourd’hui ce sera de savoir si la peur du Front National l'emporte sur mon envie de changement mais franchement ça m'attriste d'en être arrivé là.
Antonin Pruvot pour La Plume de Céryx