Le 31 janvier 2017
C'est l'angle mort du récit de cette campagne haletante. L'abstention est une donnée fantôme, à laquelle on est accoutumé, et qui n'intéresse plus grand-monde.
Tout juste sert-elle d'amuse-bouche pour chaînes d'info en continu quand ces dernières n'ont rien à se mettre sous la dent avant 20 heures.
On l'a vu lors des primaires de la gauche : pour les candidats, le manque de participation est simplement un paramètre parmi d'autres pour expliquer une défaite. L'abstention est au candidat déçu ce que la pelouse trop dure est au footballeur défait.
On aurait tort, pourtant, de hausser les épaules, de considérer que le boycott des urnes est une sorte d'aléa, un phénomène naturel, que l'on ne peut ni prévenir ni expliquer.
Certes, les élections qui réuniraient 100 % du corps électoral ne seraient pas plus enviables, et ne respireraient pas forcément la démocratie accomplie. Mais peu à peu, nous voyons un "peuple dans le peuple" en train de faire sécession.
Et ce n'est pas forcément lors de la présidentielle que c'est le plus visible...
La présidentielle, c'est même l'élection idéale pour se rassurer à bon compte. A chaque échéance, la participation est stable, autour de 80%. Mais au mois d'avril tous les 5 ans, une hirondelle présidentielle ne fait pas le printemps électoral.
Observons des élections comme les législatives ou les municipales, dans les zones périphériques rurales ou urbaines. Prenez Aubervilliers, en Seine-Saint-Denis lors des dernières municipales. Les chiffres donnent le vertige : Sur 76 000 habitants, 26 000 inscrits. Sur 26 000 inscrits, 12 000 votants. Compte-tenu du nombre de listes en présence, il fallait seulement 4 000 voix, pas plus, pour remporter la mairie. 4000 voix pour une commune de 76 000 habitants. Le cas est extrême, bien sûr, mais la tendance ne l'est pas.
Si l'on affine, on découvre la morphologie de la France qui vote. Là encore à la présidentielle, les taux de participation sont assez homogènes. Mais aux législatives, celles de 2012 par exemple, les 18-24 ans sont 35% à se rendre aux urnes... contre 76% des sexagénaires.
Quel est l'âge où l'on vote le plus ? Le pic de participation est à 70 ans, comme le notent les spécialistes de l'abstention Jean-Yves Dormagen et Céline Braconnier. D'où une déformation de plus en plus nette entre la France des listes d'émargement et le pays réel.
Pourtant, nous journalistes continuons à commenter la bataille électorale comme si de rien n'était, en pourcentage, plutôt qu'en nombre absolu de voix. C'est-à-dire dans un monde clos, en oubliant qu'une partie des troupes est à l'extérieur de ce monde, et le regarde avec un mélange de désintérêt, de mépris et ou de colère.
Récemment, Antoine Bueno a publié un livre, intitulé « No vote ». Cette ancienne plume de François Bayrou, qui a fait préfacer son texte par Michel Onfray, veut créer une "fierté de l'abstentionnisme", même si l'expression semble confiner à l'oxymore. Cette abstention grandissante est un cri de colère muet ; un phénomène que chaque parti tentera de récupérer en le mettant - de manière facile - sur le compte de la déliquescence de ses adversaires. Ce qui permet de différer tout examen de conscience.
Et pourtant, il n'est pas superflu de faire une pause dans la frénésie de la campagne. D'examiner par qui sont choisis les élus, ce qui permet de comprendre pour qui ils gouverneront.