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[Extrait]  Le suffrage universel contre la démocratie

Transmis par Alain, le 6 avril 2017

Bonjour,

Voici encore un autre texte. Celui-ci n'est pas de moins mais d'un universitaire ayant pignon sur rue. Je l'ai trouvé pas mal pour un prof de Sciences Politiques. Il est rare qu'ils soient aussi sincère. Pourtant, si nous pouvions lire dans leurs pensées, nous en apprendrions des choses.

Bien cordialement.

Alain

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Le suffrage universel est une institution profondément inintelligible, voire un pari naïf, si par attachement idéologique, calcul ou défense d'angoisse, l'on se refuse à admettre que sa principale fonction est d'entretenir des illusions, fussent-elles considérées comme socialement utiles.

Que constate-t-on en effet ? Que les citoyens aiment à croire qu'ils peuvent peser sur l'orientation des pouvoirs publics et ne sont donc pas de simples rouages du système social qui pourtant les façonne étroitement.

Tel qu'il est circonscrit, le suffrage universel fonctionne d'abord comme un système qui muselle l'expression des conflits réels, frappe d'illégitimité la parole vraiment rebelle, abolit tendanciellement le pluralisme authentique. Dans notre société qui se croit sans Dieu et sans mythes, il est la source aussi bien que l'enjeu d'une grande saga qui, en fait, chante les bienfaits de l'État-Léviathan en mobilisant les désirs inconscients des peuples.

Avoir effectivement, grâce aux « élections disputées », quelques coudées d'avance sur les régimes des goulags du Nouveau ou de l'Ancien Monde sert parfois communément à justifier chez soi l'obstination à vivre sur de faux semblants.

Une fonction essentielle du suffrage universel est la facilitation de la domination exercée par l’État moderne. A l'époque où la revendication du suffrage universel était le fait des fractions les plus révolutionnaires de la société, sous la Convention puis clandestinement sous la Restauration et sous la Monarchie de Juillet (1815-1848), le principe un homme, une voix, paraissait un redoutable bélier dirigé contre les pouvoirs institués et, en premier lieu, contre un Pouvoir politique répressif des aspirations populaires. Dans l'imagerie héroïque de l'époque, le suffrage universel était « le Peuple se libérant enfin de ses chaînes ». L'expérience de 1848, l'utilisation du suffrage universel sous le Second Empire par Napoléon III, les diverses consultation du début de la IIIe république ont vite prouvé à quel point le pouvoir d’État pouvait tirer bénéfice de l'exercice par le peuple de sa souveraineté, fût-elle « populaire » et non pas seulement nationale.

Il est en effet important de noter la concomitance historique depuis plus d'un siècle entre des deux évènements : d'une part, la consolidation définitive du suffrage universel et sa généralisation aux femmes et aux majeurs de dix huit ans, son extension à l'élection du chef de l'État ; d'autre part le constant renforcement de l'appareil d'État ainsi que ses interventions dans tous les aspects de la vie sociale.

Philippe Braud - Le suffrage universel contre la démocratie. – PUF, 1980.

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Philippe Braud est un politologue français, spécialiste de sociologie politique. Il est professeur des Universités à l'Institut d'Études Politiques de Paris et enseignant-chercheur associé au CEVIPOF (Centre d'Études Politiques de Sciences-Po)

Tag(s) : #Matières Grises
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