Le 3 mars 2017
C’est la grande inconnue d’une présidentielle dont elle devrait encore sortir gagnante… ou dont elle peut désigner le vainqueur. Qui est-elle, quelle est son analyse de la situation politique ? Confidences exclusives.
C’est dans son "QG de campagne" que nous avons rencontré l’abstention : un charmant cabanon au bord de la rivière. On la croit secrète, mais elle a tout de suite répondu positivement à notre demande d’entretien, et son accueil a été avenant. Comme si l’étonnant était plutôt qu’on ne pense jamais à l’interroger malgré son omniprésence dans la vie politique.
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Regards. On évoque souvent le "parti de l’abstention", mais vous n’avez aucune organisation, aucun programme, aucune voix…
L’abstention. Il n’est pourtant pas difficile de m’entendre, si l’on tend l’oreille. Quant au reste, c’est bien évidemment ce qui fait ma force.
On dit même que c’est vous le "premier parti de France".
Je suis arrivée en tête de toutes les élections intermédiaires lors de ce quinquennat, j’ai obtenu la majorité absolue au premier tour des régionales pour la deuxième fois de suite. Sachant que je revendique aussi les cinq millions de non-inscrits et les bulletins blancs, il ne fait pas de doute que je suis le premier "parti" politique du pays.
« Comme d’habitude, j’ai juste à laisser les autres faire campagne pour moi. »
"Parti" politique, ou apolitique ?
C’est tout le débat. Est-ce que les élus et les organisations politiques font encore de la politique aujourd’hui, est-ce qu’ils la servent ? J’incarne peut-être le vide politique, la fuite des électeurs, mais je ne m’en sens pas du tout responsable.
Et à voir le nombre croissant d’appels au boycott de la présidentielle, je me trouve de plus en plus politisée…
Vous avez battu vos records lors les législatives 2012 (42,78% au premier tour, 44,59% au second), mais depuis le 28,4% de 2002, vous souffrez plus à la présidentielle…
Je suis sur une bonne dynamique. Après être repassée au-dessus des 20% au premier tour de 2012, j’ai encore battu des records aux municipales de 2014, j’ai cartonné aux régionales et aux départementales de 2015…
Cette année, tout le monde y met du sien pour me porter à des sommets. Il va falloir que je pense à gouverner, un de ces jours (rires).
L’offre politique des candidatures semble pourtant assez large, et assez diverse… Comment expliquez-vous qu’elle ne séduise pas ?
Regardez le tableau… Le candidat du PS n’est pas soutenu par le PS. François Fillon, comme si son programme inepte ne suffisait pas, veut faire passer son suicide politique pour un assassinat.
Mélenchon prêche ses convaincus et ulcère les autres : la gauche radicale consacre toujours ses maigres forces à ses guerres intestines. Comme d’habitude, j’ai juste à laisser les autres faire campagne pour moi.
Hormis le FN, Emmanuel Macron est le seul susceptible de me tailler des croupières, avec sa stratégie attrape-tout.
« On me reproche de faire le jeu de Marine Le Pen, mais qui ne le fait pas, aujourd’hui ? »
Macron vous inquiète ?
Un peu, je l’admets. Il est tellement creux, avec ce discours d’étudiant en école de commerce exalté, qu’au départ je n’ai pas vu le danger.
Pourtant, chez moi on entend souvent « Élections, piège à cons ! », cela aurait dû me mettre la puce à l’oreille.
Il ne faut pas s’étonner que la politique-marketing favorise le produit le mieux emballé. L’avantage de parler comme une publicité, c’est qu’on touche un vaste public.
Et Macron, c’est une bonne marque. Moi, ma nature, c’est plutôt "No logo". Il séduit les indécis, mais j’ai bon espoir de les récupérer à l’arrivée.
Vous n’êtes pas un peu de droite, quand même ?
Par complicité passive ? Peut-être… Mais si ceux qui votent votent à droite, ce n’est pas mon problème. C’est celui de la gauche, en fait. Or qu’est-ce qu’elle propose comme projet de société, à part d’éviter le pire ?
Un bulletin pour le PS au premier tour, un autre contre Le Pen au second, ce n’est pas très exaltant pour un électorat qui veut changer le monde.
Le vote utile, ça donne une idée de l’utilité des électeurs.
La droite ne vous convainc pas plus ?
Elle est complètement larguée, en panique, de retour au XIXe siècle en passant par les années trente ! Alors que le FN, c’est du fascisme moderne, le pur produit de son époque. Le paradoxe, c’est qu’il est mon principal concurrent, alors qu’on dit que je suis son meilleur allié. On me reproche de faire le jeu de Marine Le Pen, mais qui ne le fait pas, aujourd’hui ?
« Certains de mes partisans disent "Plus rien à foutre", d’autres "Tout est possible". »
Vous arrivez à vivre avec cette idée d’être complice de l’extrême droite ? C’est de la non-assistance à démocratie en danger…
Remballez votre discours culpabilisateur : si je prospère, c’est aussi parce qu’il ne marche plus.
Maintenant, ce sont les votants qui culpabilisent. Il faut les comprendre, avec tous les délinquants qui se présentent, avec toutes les trahisons qu’on leur promet…
De toute façon, il est faux de dire que je profite au Front national.
Lire ici :
https://reporterre.net/Non-l-abstention-ne-favorise-pas-le-Front-national
Encore une fois, je ne suis pas la cause de la crise démocratique, j’en suis le symptôme.
Et que propose-t-on à un pays en manque de démocratie ? Une "dose de proportionnelle" !
En outre, élire un monarque républicain, je ne suis pas sûre que ce soit si démocratique que ça… Surtout quand le "tripartisme" ne laisse le choix qu’entre les lâches, les salauds et les fachos.
C’est un discours d’extrême gauche, ça !
C’est parce que je suis jeune (rires). Mon côté anar… Je suis peut-être une force politique qui s’ignore. N’oubliez pas que bien des révolutions ont été lancées par ceux qui ne votaient pas. Certes, ce fut souvent parce qu’ils n’avaient pas le droit de voter.
Justement, des gens sont morts pour que nous ayons ce droit…
Je l’attendais, celle-là (soupir). Ceux qui sont morts pour le droit de vote avaient en tête d’obtenir plus qu’une carte d’électeur. Et ils ne pensaient certainement pas mourir pour qu’aujourd’hui Christophe Barbier et Ruth Elkrief se pâment devant le « courage » de François Fillon.
Les élections garantissent que rien ne change, sinon en pire.
Beaucoup de mes partisans pensent que la révolution ne viendra pas par les urnes, ni par les armes, mais par le bas.
Certains disent « Plus rien à foutre », d’autres « Tout est possible » et pour ceux-ci, il n’y aura pas d’élection présidentielle.
En attendant ce non-événement, je dois vous laisser : j’ai des week-ends de printemps à organiser.